Deux frères, deux vélos et une envie : celle de découvrir le monde. Aujourd’hui, Carl-Eric et Adrien nous racontent leur voyage à vélo, leurs aventures et leurs rencontres à travers leur projet Des routes et des Hommes. C’était pour eux l’occasion de replonger dans les souvenirs de ce voyage à vélo datant du 2007. Un voyage à l’époque où les réseaux sociaux commençaient à peine à voir le jour !
Le voyage à vélo d’Adrien et Carl-Eric à vélo : les chiffres clefs
Durée du voyage :
11 mois
Km parcourus:
16 500km
Nombre de pays traversés :
13, si on compte le Sahara occidental
Vélos utilisés :
Da Silva (type « randonneuse »), cadre acier
Poids à pousser
Environ 25kg chacun
L’interview
Salut Adrien et Carl-Eric, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Nous sommes deux frères âgés aujourd’hui de 39 et 43 ans, Namurois (Belges donc ;)). Quelques années à peine après nos débuts dans la vie professionnelle, nous avons eu envie de faire, l’espace de quelques mois, une rupture profonde en partant à la découverte du monde. C’est ainsi qu’à 25 et 29 ans, nous avons construit ce projet de voyage au long cours, à vitesse humaine, pour découvrir l’ailleurs.

En 2007, vous êtes partis pour un long voyage à vélo, comment vous est venue l’idée de ce projet ?
Carl-Eric : Je m’en rappelle encore comme si c’était hier. Nous étions chez nos parents, un dimanche et j’étais en train de lire une revue, et mon frère Adrien passait sa tête par la porte de la pièce. S’est engagée alors une discussion sur le thème du voyage et de l’envie de partir, de découvrir autre chose, d’autres manières de vivre, d’autres paysages, d’autres cultures, d’autres horizons. De cette discussion est née la réflexion sérieuse quant à une telle entreprise. A partir de ce moment, on a préparé, pendant 6 mois environ, notre projet de manière sérieuse, méticuleuse, organisée. Nous étions totalement inexpérimentés. Tout était à construire. Avec beaucoup de questions sur le matériel (sa qualité est une des clés pour un voyage plus serein), l’itinéraire (il fallait, en partant à deux, nous accorder sur les pays que nous souhaitions tous les deux traverser), les soutiens (chercher des sponsors est un travail full time !), construire un projet connexe (avec des écoles de notre région).
Avant de l’annoncer à notre famille et à nos proches, notre projet était déjà bien sur les rails et nous étions certains de ne pas changer d’avis. Car nous savions qu’en l’annonçant à nos parents, nous n’allions pas susciter dans un premier temps beaucoup d’enthousiasme.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre itinéraire ?
Nous sommes tout simplement partis de Namur, pour ensuite descendre vers le sud de la France, en privilégiant les petites routes et les villages à travers la Champagne, la Bourgogne, le Beaujolais, la vallée du Rhône, pour aller ensuite vers Sète, et Collioure avant d’arriver en Espagne. Pendant cette phase de rodage, nous avons volontairement choisi d’éviter les grands massifs montagneux, justement parce que nous ne nous étions pas spécialement préparés physiquement (la France constituait un peu notre « échauffement »). Inutile donc de nous imposer un chemin de croix pour commencer. Ce serait à refaire, nous choisirions peut-être de passer par quelques cols mythiques ou quelques massifs qui constituent, avec le recul, un point de passage quasi obligatoire pour tout cycliste ! Mais nous étions aussi, il faut le dire, impatients d’avancer le plus vite possible vers le sud et les contrées plus éloignées.
Ensuite, en Espagne, nous avons d’abord longé la côte. Puis, lassés de la fréquentation touristique (nous sommes à ce moment-là en plein mois de juillet et août), nous avons décidé de « couper » à travers l’intérieur du pays pour rejoindre la pointe sud de la péninsule. L’intérieur de l’Espagne, comme par exemple la Sierra de Cazorla, est aussi splendide que physique. Ce sera valable pour tout le voyage : nous avons toujours privilégié les petites routes (sauf cas exceptionnels) aux grands axes, les petits villages aux villes. En vélo, c’est beaucoup plus simple, beau, sécurisant de rouler sur des petites routes et d’arriver dans des petits villages.
Nous sommes alors arrivés au Maroc, à l’hospitalité remarquable (le contraste avec l’expérience vécue en Espagne était flagrant). Le sens de l’accueil des habitants était aussi élevé que les pentes du relief marocain. Et notamment dans le Rif (nos mollets s’en souviennent encore !). Nous n’étions pas mécontents de rouler un peu plus tard sur le plat du Sahara, même si la chaleur torride nous poussait à éviter de rouler aux heures les plus chaudes de la journée. Nous avons emprunté la route asphaltée qui longe l’océan dans le Sahara occidental et en Mauritanie, avant d’arriver au Sénégal jusqu’à Dakar. De là, nous avons pris l’avion jusqu’à Buenos Aires. On a traversé l’Argentine, la Bolivie et le sud du Pérou. A Lima, nous avons repris l’avion, direction les Etats-Unis, que nous avons traversés d’ouest en est pour passer au Canada au niveau des chutes du Niagara. Toronto, Montréal et Québec ont été nos villes étape au Canada. Pour terminer le périple à vélo, nous avons relier Amsterdam-Namur. Volontairement, nous avions décidé de terminer notre voyage par des pays de culture proche de la nôtre car nous craignions qu’en revenant directement d’un pays à la culture diamétralement opposée, nous soyons trop gagnés par le blues du voyageur.

C’était votre premier voyage à vélo ?
Adrien : Alors, on va sûrement vous étonner, mais, oui, c’était notre premier voyage à vélo ! On peut dire que pour une première, on n’a pas lésiné sur l’ampleur du projet. Mon frère et moi n’étions pas particulièrement sportif ou cycliste avant cela. Personnellement je n’avais plus fait de vélo depuis des années et l’aspect physique du voyage a été ce qui m’a le plus fait hésiter avant de m’engager dans cette aventure. Mais ce voyage n’était pas une compétition, l’important était pour nous de profiter, en allant à notre rythme. Le voyage, la rencontre, l’inattendu, la découverte, tout cela, c’était le but de notre entreprise, pas la performance physique. D’ailleurs, en moyenne, nous ne roulions « que » 100km par jours. Ce qui, pour un cycliste un peu entraîné, ne représente que quelques heures de sorties. Mais nous voulions prendre le temps de nous arrêter quand nous le voulions. Et puis les questions d’intendance (trouver un toit, de quoi manger,…), cela peut prendre aussi du temps.
Quels ont été vos grands coups de coeur ?
C’est toujours difficile de répondre à ça, tellement chaque journée (et ce n’est pas une formule toute faite que de le dire) nous a apporté son lot de surprises, de rencontres, de découvertes.
Le Maroc a été le premier coup de cœur. L’accueil de ses habitants a été juste incroyable, inexplicable. Il fallait le voir pour le croire. Beaucoup n’avaient pas grand-chose et nous donnaient tout. Le premier jour dans ce magnifique pays, nous avons été invités à un mariage ! Nous y avons aussi rencontré Yassine, un amoureux du vélo qui nous a suivis pendant tout le reste du voyage et avec qui nous avons encore des contacts.
Un autre coup de cœur, ce fut l’Argentine, toujours pour le contact avec les gens…et ses paysages. Les Etats-Unis ont aussi été surprenants. Pour ses paysages grandioses, mais aussi pour le contact avec les gens. Cela pourra en étonner certains. Mais des gens qui délogent de chez eux pour vous laisser leur logement, ça n’arrive pas partout. Des gens qui communiquent entre eux de villes en villes pour organiser nos nuitées, non plus ! Des gens qui vous offrent le repas, sans se donner à connaître, idem ! Les USA, c’est le pays des contrastes, où vous pouvez rencontrer tout et son contraire au même endroit, c’est saisissant.
Des souvenirs gravés dans nos mémoires, nous en avons pour chaque pays, chaque région. Quel que soit l’itinéraire, ce genre de voyage est susceptible de réserver des surprises à chaque tournant.
Sahara – © Carl-Eric et Adrien – Des routes et des Hommes Argentine – © Carl-Eric et Adrien – Des routes et des Hommes
Carl-Eric : Nous avons eu la chance de ne pas connaître de mauvaises expériences aussi, il faut le reconnaître. Fort heureusement, il ne nous est rien arrivé. Aucun accrochage, aucune mauvaise rencontre et même mieux, aucun pépin mécanique ! Sur les 16.500 km, à peine deux crevaisons pour Adrien. La première crevaison, c’était sur une grosse nationale aux Etats-Unis. Et Adrien a pesté ce jour-là ! (rires). Aucune pour moi. À y repenser, c’est quand même dingue.
Pour le reste, ce ne sont que des bons moments et expériences de vie.
Rouler à la frontale dans le Sahara aussi immense que silencieux, avant le lever du soleil, pour éviter les températures caniculaires, dormir sous une tente toujours en plein milieu du désert, prendre le célèbre train de minerais en Mauritanie, gravir un col de 45km pour se hisser sur l’Altiplano, rouler à plus de 4000m d’altitude, mais aussi traverser la « douce » France, ses villages, ses places « de l’Eglise », retrouver la verdure du Sénégal après l’aridité du Sahara, loger dans une caravane aux portes de Las Vegas pour, le lendemain, être invité par un ami dans un hôtel de la ville casino, être ravitaillé par un inconnu au beau milieu du désert, se voir offrir un thé à la menthe sorti d’on ne sait où,… tout ça, ce sont des souvenirs impérissables. Et la bienveillance de la plupart des gens croisés ! Beaucoup vous salue, vous aide, s’intéresse à votre projet, vous encourage, …
En 2007, les réseaux sociaux effleuraient à peine nos vies. Ça fait quoi de voyager à vélo sans tout ça ?
En fait, comme ça n’existait pas, on ne peut pas dire. Mais, a posteriori, on peut dire qu’on en n’a pas souffert. Même mieux, on est ravi d’avoir pu voyager sans toute cette technologie. Mais si on avait dû « construire » nos itinéraires sur logiciel ou ordinateur, style Komoot ou Strava, les télécharger sur les compteurs, faire en sorte que ceux-ci ne tombent pas en panne de batterie… Quelle prise de tête au quotidien ! Bien sûr, c’est toujours possible. Avec l’équipement adapté pour recharger sur le vélo. Mais ce n’est pas la même philosophie. Nous avons voulu faire simple et efficace. Eviter au maximum les technologies non éprouvées. Et cela nous a réussi quant à la fiabilité de notre matériel.
Donc, au lieu de ça, on avait nos bonnes vieilles cartes routières (qu’on avait achetées avant notre départ, ou qu’on se procurait parfois sur place, comme aux USA) dans nos sacoches et on les dépliait tous les jours pour élaborer la suite de notre itinéraire. Car si on avait déterminé les pays avant de partir, on ne savait pas vraiment au jour le jour par où nous allions passer et où nous allions dormir. C’est un réel plaisir de parcourir les « chemins noirs » comme dit Sylvain Tesson, sur une carte.
Avec les réseaux sociaux tels que Facebook ou Instagram, on aurait eu plus de facilité à communiquer avec nos proches, nos familles, nos amis. Mais il y avait déjà Skype et internet, donc nous n’avions pas trop de difficulté à communiquer avec la Belgique dès qu’on trouvait un petit cyber-café par exemple. Être déconnecté, c’était aussi le but poursuivi. Et ça fait du bien de se détacher de ces « contraintes » virtuelles.

Est-ce-que vous pensez que les nouvelles technologies ont changé le voyage à vélo ?
Des aspects positifs ?
Des sites comme Warmshowers sont des mines d’or pour les cyclistes et les voyageurs. Et une manière de faciliter les choses quand on veut trouver un toit pour la nuit, sans devoir passer trop de temps à chercher le soir venu. Idem pour les smartphones et Internet qui permettent de trouver des campings, logements, hôtels, auberges,… Clairement, ça nous aurait bien aidé parfois, à ne pas perdre de temps par exemple. Car le soir venu, parfois, lorsque nous étions exténués par les kilomètres parcourus, on avait qu’une seule envie : nous poser. Et il est arrivé quelques fois que ça nous prenne quelques heures pour trouver un toit ou un endroit pour poser la tente. A côté de ça, on n’aurait certainement pas fait autant de rencontres insolites sans cette dose d’inconnus. Par exemple, en France, nous avions pris le pli de nous arrêter dans des petits villages et de demander l’aide du Maire pour nous trouver un toit. On a donc dormi dans des bibliothèques, des salles municipales, des casernes de pompier (que nous retrouverons plus tard…), des écoles.
Des aspects négatifs ?
Chacun fait le voyage qu’il souhaite faire. Certains ont envie ou préfèrent communiquer au maximum sur les réseaux sociaux. D’autres préfèrent passer en-dessous des radars. Ce n’est pas à nous de juger. À chacun son voyage.
Nous, nous avons essayé de trouver un équilibre. Mais il est vrai que partager son expérience, son voyage, c’est toujours agréable. Il ne faut juste pas tomber dans l’excès. Voyager pour partager. Et pas dépendre, être addict aux réseaux sociaux.
Concrètement, comment ça se passait au quotidien pour vous?
En général, nous avions repéré le parcours le jour avant, sur carte bien entendu, comme déjà dit plus haut, en privilégiant les petites routes. Ces cartes, nous les avions pour beaucoup achetées avant de partir (ça faisait un certain poids et volume dans les sacoches !) On avait le parcours sous les yeux. Après la routine de remballage des sacoches après le petit-déjeuner, nous partions pour quelques heures de route, puis pause midi, puis de nouveau la route. On s’arrêtait vers 17h-18h, pour trouver un endroit où nous poser. On s’arrangeait toujours pour être posés avant la tombée de la nuit. Le temps de faire un peu sa toilette et celle des vélos, on faisait notre popote ou on trouvait un endroit où manger. Ça, c’était notre journée-type. Qui pouvait changer du tout au tout en fonction de la région traversée et des gens croisés !
Dans plusieurs pays, nous avons pu compter sur des hébergements particuliers. En France, on s’adressait souvent aux Maires. Au Maroc, nombreux sont les habitants qui nous ont accueillis. En Argentine, ce sont plutôt les auberges de jeunesse. Aux États-Unis, les pompiers. Pour ne prendre que quelques exemples.

Avec le recul que vous avez aujourd’hui, qu’avez-vous tiré de cette belle expérience de voyage ?
Si c’était à refaire, nous referions les choses de la même manière, à peu de choses près. Ce que nous retenons pour l’essentiel, c’est qu’il ne faut pas avoir peur de l’inconnu. Et de considérer que, de manière générale, l’Homme a finalement souvent les mêmes aspirations où qu’il soit dans le monde : être heureux, dans sa vie et avec ses proches et sa famille. Mais il a aussi souvent les mêmes travers. Que de pollution croisée sur les routes… C’est parfois désespérant.
Autre « leçon » : il ne faut pas hésiter à se lancer. Mais en se préparant au maximum, en s’informant. Et pour ça, les réseaux sociaux sont intéressants. C’est une mine d’informations énorme. Petit exemple : au sud de la Mauritanie, jusqu’à la dernière minute, nous ne savions pas si la route asphaltée était terminée. Nous ne savions pas si nous allions devoir longer l’océan, d’une manière ou d’une autre, ou si nous allions pouvoir profiter de la nouvelle route. Avec les réseaux sociaux aujourd’hui, un message, une question sur un groupe bien ciblé et vous avez la réponse quasi immédiatement. Nous, nous avons découvert « en live » que la route était bel et bien terminée. Ça a aussi son charme.

Vous avez réalisé quelques projets liés à votre voyage par la suite ?
Nous avons monté une petite exposition photos et, surtout, nous avons voulu coucher sur papier notre expérience. C’est ainsi que nous avons publié « Des routes et des Hommes », avec un grand « H » en guise d’hommage à ces femmes et ces hommes croisés sur la route et qui ont fait de ce voyage ce qu’il a été, à savoir une expérience extra-ordinaire. Pendant le voyage, nous écrivions un peu tous les jours, dans les grandes lignes (points de départ et d’arrivée, km, anecdotes,…). Au retour, nous nous sommes attelés à la tâche en relisant nos notes et en tentant d’en faire quelque chose de plaisant à lire. Ce qui n’était pas du tout gagné ! Et ce que nous espérons avoir réussi. Mais ce n’était pas évident ! Au lieu de raconter l’itinéraire du début à la fin, nous avons choisi de fonctionner par parties de voyage. Il fallait raconter une histoire, les histoires qui nous étaient arrivées.

Pour se procurer le livre Des routes et des Hommes, il suffit de contacter Carl-Eric et Adrien sur leur page Facebook 😉 ! Il est aussi présent dans la Librairie Point Virgule, à Namur.
Vous repartez à l’aventure de temps à autre ? Est-ce-que ça vous titille de repartir au long cours ?
Après ce voyage, nous sommes repartis tous les deux un mois à travers la Turquie (en plein mois d’août, ce n’était pas la meilleure idée (rires) : jusqu’à 53 degrés avec un relief de fou 😊. Nous avons aussi relié Amsterdam à Copenhague avec un ami. Nous avons aussi parcouru, tous les deux ou avec notre compagne, des chemins de France (par exemple la région du Ventoux en Brompton), le canal du Midi et de la Garonne, les châteaux de la Loire, la grande boucle de l’ouest de la France, par exemple.
Bien sûr, ça titille toujours de repartir. Nos vélos sont toujours prêts, dans nos garages, à repartir. Il ne faut jamais rien exclure (rires).
Pour terminer, auriez-vous une anecdote à nous partager sur ce voyage ?
Difficile de choisir, tant les anecdotes sont nombreuses. Nous parlions plus haut de l’hospitalité marocaine. Par exemple, notre premier jour au Maroc a été marqué par une invitation à un mariage. Difficile de refuser…
Au Maroc aussi, nous avons rencontré Yassine, un amoureux du vélo qui nous a suivis pendant tout le reste du voyage et avec qui nous avons encore des contacts. Nous l’avions croisé sur la route, et après quelques kilomètres il a fait demi-tour, nous a rattrapés et nous ne a jamais oubliés.
Où suivre vos aventures ?
Suivez Adrien et Carl-Eric sur Facebook !
Nous vous remercions pour cette belle interview et ce magnifique récit. Nous avons hâte de lire votre récit 😉 !
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