Blandine, la trottineuse, voyage à travers le monde en trottinette

par | Mis à jour le 23/01/2021 | Les voyageurs | 2 commentaires

Voyager en trottinette, ça vous tente ?

C’est ce que fait Blandine, La Trottineuse, actuellement en World Open Tour! Avec Denni, nous la suivons sur les réseaux depuis un long moment déjà. Sur les pistes cyclables, les cyclovoyageurs que l’on rencontrait nous parlaient d’elle régulièrement. Il faut dire que dans le monde du voyage à vélo, sa manière de voyager est pour le moins insolite. Partie en novembre 2015, Blandine s’est lancée dans un World Open Tour à trottinette ! Actuellement en attente de son visa chinois, au Kirghizistan, elle nous parle de son aventure.

Blandine, la trottineuse
©La Trottineuse

Au programme de cet article

Salut Blandine, qui es-tu ?

Bonjour Mila et Denni. Je suis une française de 35 ans, en itinérance depuis 2 ans. Je voyage en footbike, une trottinette de sport grand modèle, en autonomie, sans assistance, sans emploi et en évitant de prendre l’avion. Je vis et dors la plupart du temps dans la nature. C’est ce que j’appelle « une quête de la vie bonne ». A ce jour, j’ai parcouru 35 000km, traversé plus de 30 pays, en portant environ 30/40kg de matériel et de vivres.

Tu voyages depuis novembre 2015 avec une trottinette. C’est pour le moins unique et insolite ! Comment t’es venue l’idée de voyager avec ce moyen de transport ? Et de partir pour un tour du monde ?

Avant d’être l’aventurière auto-propulsée que je suis devenue, j’étais graphiste à mon compte. Mais la question de « la vie bonne » était présente depuis fort longtemps. Je m’intéressais à ce qui fait le bien commun et la félicité des individus à travers la philosophie politique, notamment, et dans une réflexion sur mon propre mode de vie sédentaire. Avec cette conviction que les réponses résident dans le ré-examen de la vie individuelle quotidienne, notamment des besoins réels, en regard de l’époque dans laquelle on vit.

Aujourd’hui, il s’agit de penser la façon dont une société marchande mondialisée réduit l’humain à une masse d’unités isolées sans valeur intrinsèque, dans une course auto-destructive à la production et à valorisation, en aveuglant les individus sur leur propre capacité d’invention, sur leurs désirs et besoins, sur le sens même de la vie bonne, et de la vie humaine tout simplement. Mes réponses sédentaires étaient entre autres d’être végétalienne et j’étais en passe d’acquérir un vélo. Mais cela ne suffisait pas, je faisais toujours partie du système et contribuait à le reproduire.

Blandine - La Trottineuse - voyage en trottinette
©Blandine – La Trottineuse

C’est lors d’un séjour en Finlande que j’ai découvert le footbike.

Quand j’ai essayé, après en avoir acheté un, lorsque j’ai commencé à faire des sorties en nature, j’ai tout de suite su ce que je devais faire. Quelques mois plus tard, j’avais arrêté de travailler, rendu le bail de location de mon appartement, vendu mes possessions (sauf mes livres !) pour financer le début du tour d’Europe, acheté du matériel de camping, et j’étais sur la route, avec 2000e en poche, pour une durée indéterminée !

J’ai commencé par un tour d’Europe, en ralliant les extrémités (atlantique-anatolie / gibraltar / cap nord) du « continent européen » dans une grande boucle. C’était un vrai défi physique également, et ça le reste : sur un footbike il n’y a pas de vitesses ni aucun mécanisme d’entraînement, tout est dans les jambes (et le reste du corps, c’est une activité très équilibrée), quel que soit le relief. C’est en Scandinavie que j’ai su que je continuerai probablement bien plus loin. Quand j’ai remis le pied en France, c’était pour repartir vers l’Orient, autour du globe.

Blandine - La Trottineuse - voyage en trottinette
©Blandine – La Trottineuse

Est-ce que cette manière de voyager à trottinette, pour le moins insolite, te permet de faire davantage de rencontres, attire davantage la curiosité des gens ?

La trottinette étonne en effet beaucoup ! Je crois que les cyclo-voyageurs sont déjà l’objet de vives curiosités sur leur chemin, mais le footbike était au début un véritable plus dans mon idée de communiquer, de tenter de me faire ambassadrice d’une autre façon de voyager, à contre-courant de la temporalité consumériste et du shoot à l’exotisme liés au tourisme de masse.

Pendant le tour d’Europe, j’avais décidé de récolter des fonds pour une association citoyenne de Caen (la ville où j’habitais avant de tout plaquer), le café Sauvage. Attirer les regards des curieux et susciter des interrogations tout au long de la route avec un objet aussi incongru que cette grande trottinette pour voyager avait donc une multitude de répercussions positives.

Aujourd’hui je ne suis plus tout à fait dans le même schéma. Je ne récolte pas de dons pour une association (l’expérience m’a enseigné que les gens préfèrent me soutenir directement plutôt que de donner à une association par mon intermédiaire), et je suis tellement habituée à ma machine que c’est devenu une seconde nature, dont l’effort et les passages extrêmes (récemment j’ai traversé le désert iranien, puis les Pamirs par la seconde route la plus haute du monde, en hiver avec des nuits à -30°c et dans un environnement désertique) font toujours partie : les gens n’en sont pas moins surpris et les occasions sont nombreuses de faire connaissance de cette façon si particulière qu’offre l’itinérance et la vie sauvage.

Voyage à trottinette
©Blandine, La Trottineuse

– Tu parles de World Open Tour, qu’entends-tu par là ? J’ai aussi vu que tu voyageais sans argent pour ton aventure, comment ça se passe ?

Je pense que tu fais allusion à « Open » ? Pour moi c’est une façon de dire que place est faite à l’improvisation et à un temps illimité. Je ne suis pas dans une optique de boucle ou de tour proprement dit, avec un début et une fin. Même si je trace pour le moment un itinéraire globalement « tour-du-mondiste ».

Je vis sur la route, j’enquête empiriquement sur la nature du voyage aujourd’hui, les techniques de l’itinérance autonome, le rapport à l’outil, au temps, au chargement, à l’équipement, etc. La philosophie du minimalisme, du « voyager léger » et vivre avec peu. Un jour j’éprouverai peut-être le désir de m’installer quelque part, de passer à une nouvelle vie sédentaire, qui sera totalement imprégnée et fort riche de mon exploration nomade. Mais je ne sais pas quand ni où.

Oui, je n’ai pas d’emploi ou d’épargne particulière, et je ne cherche pas à travailler sur place si l’occasion se présente. Cette aventure est profondément activiste, dans le sens où je développe une praxis personnelle qui s’émancipe de la structure contemporaine de la marchandise industrielle, de la croissance infinie et de leurs corollaires, le travail salarié et le chômage. Cela passe par un questionnement sur la nature du travail, sur le récit qui en est fait par le système et qui le fait passer pour inévitable, naturel, avec l’aliénation qui en découle, en tout cas dans les rapports sociaux à travers lesquels le travail se manifeste aujourd’hui.

Cela ne veut pas dire qu’il s’agit de ne rien faire de sa vie, bien au contraire ! Plutôt de déconstruire pour de bon le récit qui sous-tend l’économie capitaliste et son support privilégié qu’est le travail, pour réinventer l’oeuvrer, le fabriquer, l’échanger, le faire, ainsi que l’oisiveté, l’ennui, à échelle humaine et dans un éco-système complexe dans lequel l’on a oublié qu’on s’inscrit naturellement dans une certaine mesure, chose que la vie sauvage réapprend rapidement.

voyage à trottinette
©Blandine – La Trottineuse

L’économie du don est intéressante, qui va de paire avec le contre-don, et aujourd’hui l’aventure continue grâce aux gens qui me font des dons.

Cette exploration des alternatives est progressive, et ce n’est pas tout noir ou tout blanc. Il est difficile de faire totalement l’impasse sur l’argent, par exemple pour se procurer un visa, remplacer du matériel, acheter de la nourriture (en Scandinavie, j’avais l’occasion de glaner, de récolter tous les invendus qui finissent à la poubelle, mais ce n’est pas faisable dans tous les pays du monde), même si tout au long de la route, la générosité des locaux est une constante.

Comme le rapport à la technique et la communication, c’est une enquête qui commence par l’expérience sur soi, et cela évolue avec les leçons de la route et les possibilités du moment. Je vis de peu, et je ne cherche surtout pas à accumuler, je fais donc comme cela vient et comme on me donne. Je tente de rendre ma part dans le partage et la performance de cette aventure, à travers les photos, les récits, le témoignage de cette quête éthique, une forme d’exemplarité ou de recherche de justesse, qui je l’espère contribue à sa petite échelle à une prise de conscience, et, parfois même à inspirer d’autres personnes à inventer, réaffirmer leur vie à l’écart de toute domination. J’aime l’idée d’échanger des compétences, de rendre service, dans la gratuité, qui irrigue alors une autre richesse de l’usage des choses et du monde.

voyage à trottinette
©Blandine – La Trottineuse

– Je me trompe peut-être, mais il me semble qu’une trottinette peut supporter moins d’équipement qu’un vélo de voyage ! Pourtant tu fais du bivouac, de magnifiques photos et tu réussis à alimenter ton blog. Comment tu t’organises pour transporter tout ton matériel ?

Il y a en effet moins de surface de cadre (quand on pratique le « bikepacking » comme je le fais aujourd’hui) et d’opportunités de chargement, et le mouvement des jambes de part et d’autre fait qu’il y a certaines contraintes supplémentaires. Mais c’est tout de même possible de fixer des sacoches, une remorque, un harnais, bref, de bricoler et de trouver une palette de solutions pour être autonome. Ma configuration a bien évolué pendant deux ans.

Je ne considère pas qu’il y ait une configuration idéale. Le choix de l’équipement et la façon dont on charge tout cela est pour moi une question radicalement singulière. Chaque expérience de la route est unique, il n’y a qu’en se confrontant au terrain et au réel de sa propre aventure que l’on découvre comment l’on veut et l’on apprécie se charger. Et même cela évolue au fur et à mesure du temps et des environnement. La sanction ultime est probablement la capacité ou non à continuer d’avancer, à vivre.

Au-delà de ça, il n’y a pas de règles, si quelqu’un décide de se charger d’une façon qui parait aberrante à quelqu’un d’autre, cela ne signifie pas que l’un ou l’autre ait tord, et certainement pas que l’autre sait mieux que le pratiquant, maiscela montre plutôt que les préférences et choix techniques sont le fruit d’un rapport foncièrement individuel à l’outil et au déplacement. Il faut comprendre cela et le respecter chez autrui, alors, seulement, peut commencer un dialogue véritable et respectueux.

voyage à trottinette - bivouac
©Blandine – La Trottineuse

– Quels conseils donnerais-tu à une personne qui souhaite partir à trottinette?

Ne pas se poser trop de questions, ne pas écouter les grincheux, les sceptiques, les condescendants, se lancer, la route donnera ses leçons, et c’est la meilleure façon d’apprendre et de mûrir !

voyage à trottinette - Blandine
© Blandine – La Trottineuse

– Et le voyage au féminin, comment ça se passe ? (j’imagine que l’on a déjà dû te faire la fameuse remarque du “c’est dangereux”, blablabla). Qu’est-ce que tu voudrais répondre à ces personnes ?

Mon activisme est fondamentalement féministe dans le sens d’une recherche d’émancipation de toute forme de rapport de pouvoir. Comme je suis une femme, je suis confrontée en personne aux effets dominateurs de ce qu’on appelle le patriarcat. Mais j’ai dans le même temps une place privilégiée pour en comprendre les mécanismes et les ruses, car il y en a.

Attention, le féminisme n’est pas l’affaire ni un combat de femmes uniquement, c’est une question globale qui concerne tout le monde. Et il y a une convergence des luttes, c’est inséparable de l’émancipation du capitalisme et de ses structures de domination par exemple : au final cette lutte concerne les rapports entre tous les individus humains, entre les humains et le règne du vivant dont ils font partie, entre les humains et les choses avec lesquelles ils interagissent, entre les humains et leur habitat planétaire.

Pour ne parler que de la question du rapport des sexes, alors oui, s’émanciper et inventer des formes de vie en tant que femme, explorer le monde en autonomie et en solitaire, cela donne l’occasion d’observer pour le moins concrètement ces mécanismes patriarcaux, à travers les réactions que tu évoques, mais pas que. Il y a toute une palette de comportements issus de cette mentalité, du paternalisme au harcèlement sexuel et à l’agression, de la condescendance au scepticisme, au sexisme, à la blague lourde, etc.

Ce qui est frappant, c’est que plus je voyage, plus l’aspect universel de ces mécanismes m’apparait dans toute sa splendeur.

Ce que je veux dire et qui est très important, c’est qu’ils ne sont absolument pas l’apanage de sociétés traditionnelles, conservatrices ou religieuses. Ça c’est ce que le spectaculaire médiatique et la doxa occidentale patriarcale aime faire croire pour s’exonérer et se donner bonne conscience, dans la lignée de son grand récit du « Progrès ». En réalité, plus j’explore et suis confrontée à différents endroits du monde et différentes cultures, plus, par effet de miroir et comparaison de ce qu’il y a de similaire dans tous ces comportements, je saisis la nature commune des différentes formes que prennent ces rapports de pouvoir, et plus je saisis à quel point l’Ouest en est tout autant perclus.

En conséquence, le féminisme comme lutte contre tout rapport de pouvoir me parait indispensable, et surtout il concerne toutes les civilisations, ou, pour être plus en phase avec ce qu’il se passe aujourd’hui, disons tous les systèmes politiques et sociétés qui forment la mega-civilisation marchande mondialisée. En tant que femme blanche d’origine européenne, je n’ai aucune pitié à avoir ni excuse à donner à ceux et celles qui reconduisent la domination dans ce qu’on appelle par commodité l’Occident (j’ai même le devoir de le dénoncer), et je suis profondément liée à toutes les personnes menant le même combat que moi, où qu’elles soient et quelles que soient leurs origines.

C’est pourquoi par exemple, ce fut un honneur et je me sentais tout à fait à ma place en défilant avec les kirghizes pour la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. C’est ce qu’on appelle la sororité ou la fraternité universelle, un mot, en France, supposé avoir un certain poids…

voyage à trottinette - Blandine
© Blandine – La Trottineuse

– Est-ce que l’on peut te soutenir d’une manière ou d’une autre dans ton voyage en trottinette ?

C’est gentil de poser la question. Oui, il y a plusieurs manière de me soutenir. En suivant l’aventure tout simplement, c’est un soutien précieux et un plaisir de partager avec une communauté de personnes intéressées ! On peut aussi m’envoyer des ebooks, j’ai une liseuse et je lis énormément sur la route, en bivouac. Pour ceux-celles qui ont envie de donner un coup de pouce financier, c’est possible en me faisant un don, ou pour les équipementiers, du matériel. Tout est sur mon site : La Trottineuse !

Merci à vous deux pour cette interview et bonne route ! 🙂

Blandine

2 Commentaires

  1. Capitaine Rémi

    Et bien voilà, je sais qu’elle sera un de mes prochains défis ! Je croyais que votre article était une blague en voyant le titre, mais non, c’est possible de faire le tour du monde en trottinette et Blandine nous le prouve parfaitement 🙂

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    • Mila - Entreprendre le Monde

      Ahah, c’est un défi sympa en effet (et vraiment hors du commun pour le coup) ! Après le Tuk Tuk, le pédalo, le vélib, la trottinette ! J’ai hâte de suivre ça 🙂

      Réponse

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